Exposition collective : La villa
Commissariat : Guilhem Monceaux
Lieu : La Villa Belleville
Date : 2020


Texte d’exposition (extrait) :

“Au départ, je n’osais pas trop partager à mes amis mon goût pour l’exhibition, drôlement ambivalent. Je me baladais donc mi-nu mi-vêtu, mais en secret.

Puis rapidement, ce phénomène s’est diffusé sous ses formes les plus diverses et variées.

S’inscrivant dans une mouvance plus vaste, il n’a cessé de se renouveler, visant à réduire au silence nos besoins de pudeurs désormais démodés.

La première fois c’était un jour comme aujourd’hui.

Je voyais s’étirer devant la porte, l’attroupement de groupies . Ils arrivaient en masse. Certains avaient sorti les capes phosphorescentes, des plumes couleurs criardes, un éventail en tulle pailleté par-ci, quelques froufrous effet jabot par-là, des vestes afghanes, hippie, radieuses, tout en soi, auprès de doudounes moulantes à scratch – à côté, une combinaison bubblegum, stretch, puis une robe bouffante rose bonbon, broderie papillon, — plus loin, on devinait derrière les tenues de bal en cristal, des chapeaux melons, des couronnes modernes, puis devant, plus classiques, en jean anorak, il mise sur le maquillage à outrance, par là une chemise en diamants, puis ici une cravates en origami, et plus bas des escarpins bleu électriques, des talons aiguilles en or ou des bottes de cowboy en cuir blanc ornées d’une boucle de strass, des souliers anciens, style renaissance…

Bref vous faisiez tous des efforts hors normes pour vous rendre ici. Alors que moi je suis entrée sur scène un peu par hasard.

Plus besoin de raconter un tas d’exploits, ni d’accomplir des luttes épiques, pour se faire remarquer. Je me suis avancée simplement, au rythme de vos applaudissements. Puis les projecteurs se sont braqués sur moi, instantanément.

Alors, au début je ne savais pas trop quoi dire ; mais votre regard approbateur m’a tout de suite rassuré. Vous étiez déjà littéralement éblouit par mes ornements se faisant et se défaisant à un rythme toujours plus frénétique.

Bonjour, Je m’appelle Mathilde :)

Je suis…………… peintre professionnelle.

Hello, My name is Mathilde. …………. I’m a professional painter

Chacun, de stupéfaction, en laissait tomber en même temps, une pièce de son accoutrement : un bouton , un foulard, ou un gant.

Et là — face à vous tous— dans un suprême élan de spontanéité — je me suis mise à me déshabiller, littéralement— sans raison valable.

Je ne portais plus rien si ce n’est un peu de lingerie arty, style culotte pointilliste sur bas résilles.

...

Voilà comment nous nous sommes retrouvés ensemble quasiment nus pour la première fois.

Car vous-même, soyons franc, vous ne seriez jamais rendu ici habillé dans de tels déguisements. Vous ne portiez en fait aucun des habits décrits,

Pire encore, vous étiez complètement nus.

Moi je prenais un plaisir fou à voir mon slip gigantesque qui brillait de mille feux en plein dans vos yeux.

Mais tout à coup, vous êtes sentis comme gênés par la situation et vous vous êtes mis à me jeter vos boissons, vos whisky champagnes et Bloody Mary.

Et un léger pépiement de panique s’est suivi d’un immense cri du public. Vous vous êtes mis à taper sur les murs, à vous jeter sous vos sièges, à hurler comme des hystériques.

Vous cherchiez à tout prix à vous recouvrir d’un bout de vêtement, votre bouton, votre foulard, ou votre gant.

Mon spectacle tournait au vinaigre.

Alors, mon béret en poche et mes pinceaux dans les mains, j’ai pris mes jambes à mon coup et j’ai rebroussé chemin.

Après voilà …. j’ai toujours eu la chance d’avoir eu des fans très respectueux. À peine rentrés chez eux, épisode terminé, on en parle plus. Ils firent mine de tout oublier.



Donc bon, le lendemain, vous imaginez bien, à peine réveillée, je pars à la recherche d’un couturier, pour m’aider à me rehabiller.

«Vu que vous êtes de type rectangulaire, il vaudrait mieux alléger votre carrure pour lui offrir quelques courbures » m’a t’il dit.

Je lui demande alors de me fabriquer une tenue dans laquelle je me sentirais pousser des ailes. Au départ je pensais plutôt à une jolie robe en soie avec un make-up nude relevé par une bouche subtilement teintée pour un effet « just kissed » 100% naturel…

Mais finalement ils s’est mis à me tisser un voile doré agrémenté de quelques diamants colorés, des rouges des bleus, des verts et des violets.

Pas mal…

Et cette fermeture éclaire, tellement appropriée…

Bon j’avoue, j’ai toujours aimé briller — pour commencer. Mais là, je suis carrément tombée sous le charme. J’ai compris que cette tenue allait vite devenir ma seconde peau.

Au départ je ne savais pas trop si les autres me trouveraient sexy ou stupide habillé comme ça. Mais au fond je m’en foutais pas mal car j’en étais secrètement très fier.

Confectionné apparemment pour une femme de grande taille, le tout allait à merveille au petit homme que je suis. Qu’il s’agisse de l’originalité de la parure, de l’agrément de l’ensemble, aucune spectatrice n’attirait manifestement, autant que moi, les regards.

Je ne passais plus une journée sans mon voile brodé au fil d’or que je ne cessais d’enguirlander — avec des bouts de plastiques, des punaises, des choses et d’autres…

Cette étoffe, à la fois déguisante et transparente, s’est mise à faire un tel effet sur mon entourage qu’elle avait le pouvoir d’ouvrir à peu près toutes les portes du quartier.

À tel point que, brusquement, nous nous sommes retrouvée chez vous, nez à nez dans votre placard.

Votre corps mou et nu sursaute à mon contact. Puis rebelotte, mon sourire crispé se rétracte devant votre hurlement soudain.

Cet incident nous a tous laissé un goût amer. Inutile de s’attarder sur les détailsmais vous comprendrez bien que chacun est reparti dans son coin, au bord de la crise de nerfs.



On oublie.



Mais le surlendemain nous devions nous retrouver ici-même pour boire un verre.

Désormais tendu comme une toile de Maître , vous espériez vous décontracter, pour passer une soirée amusante.

Mais pas de chance, dès l’entrée on vous demande carrément de procéder à une une fouille totale, accompagnée d’une palpation indécente.

L'agent de sécurité vous demande d'ouvrir votre sac de voyage pour le contrôler.

Excédé, vous vous y opposé, non sans raison.

Son collègue se saisi alors de votre bagage et le catapulte vers la cage de l’entrée, en accord avec l'article 92-3 du code d’une procédure pénale préalablement établie par le conseil administratif.

Vous décider d’enclenchez la marche arrière. Vous êtes en bonne voie pour faire preuve de résistante face à ce que vous nommé désormais la - tyrannie du déshabillage.

Alors vous courrez courrez courrez courrez courrez courrez courrez courrez courrez courrez et vous arrivez enfin au centre de contrôle générale, dégoulinante de peur.

- Vous devez avoir des problèmes psychologiques, car ce n’est pas normal de refuser un contrôle de sécurité.

Après 20 minutes de prise de tête acharnée, l’agent vous indique le bureau 48 dans lequel vous pourrez récupérer vos affaires.

Vous vous apprêtez à passer à la deuxième étape de votre aventure et vous vous mettez en route vers le siège de la haute sécurité.

(Votre ami de vernissage, qui vous avait suivi jusque-là , s’est finalement barré, soulé par toutes ces complications.)

Vous y découvrez avec fascination leurs scanners à rayons X pour des détections ultra haute sensibilité. Et vous alliez bientôt pouvoir démasquer l’expert dans la procédure de mise à nu des visiteurs perturbateurs.



C’est moi. :) Je suis là. Assise à mon nouveau poste de travail, à l’abris derrière un triple vitrage.

D’ailleurs lorsque vous vous êtes approché vous vous êtes aperçu que j’était encore à moitié nue avec mon voile brodé, (parce vous vous en doutez , je n’avais pas encore trouvé de vêtements de rechange depuis la veille…)

- Vous avez refusé de vider votre sac ? Ai-je répété sidérée.

Souriant sans relâche, je prenais un plaisir fou à faire coulisser mon siège de haut en bas. Au bout de ma troisième ascension, et depuis mon plus haut cran, je vous demande minimum 10 euros cash pour le dédommagement. Je tourne encore deux ou trois manettes puis je passe la main par un petit hublot bizarrement placé au niveau des genoux (?!), et à peine me suis-je baissée à bonne hauteur que je vous arrache le billet. Le visage rayonnant, l’oeil pétillant, je redescends subitement de deux crans.

Pause : on se dévisage en silence, curieux, perplexes d’être à même hauteur. Je m’en vais chercher votre sac dans les coulisses du préfabriqué.

Et en quelque minute, je réapparais frétillant de la tête au pieds, entièrement habillée dans vos vêtements.

Je me mettais à danser dans vos chemises en velours, turquoise, rose, or et argent, puis là, voilà que j’enfile votre drôle de robe de chambre vert tilleul. Sans gène, je superpose les couches n’importe comment, y compris des culottes sur la tête, et des collants sur les seins.

Je gesticulais à l’égyptienne en vous regardant fixement, les yeux extasiés, émerveillée par la symétrie irréprochable de mes propres gestes, qui alternaient les bloup et les blop, avec tous vos vêtements sur la têtes.

Je déroulai environ un mètre de bijoux tirés directement de votre trousse de toilette, que je fis tournoyer au-dessus de votre tête comme des bolas dans la pampa.

Je n’étais pas obligée de faire ça, mais j’aimais ce bruit.

Et pour en rajouter une couche, je vous demande subitement de retirez votre ensemble oriental tout en sequin, avec des grelots dans le dos. Par réflexe, un peu décontenancé vous me le tendez par le hublot.

Voilà comment, pour la troisième fois, vous vous êtes retrouvé tout nu devant moi. Vous n’êtes pas totalement enchanté par cette scène mais maintenant vous ne pouvez plus crier car cela vous donne la migraine.

Et comme mon grand show n’en finissait plus, vous décidez de partir.

Bien fait, elle va se retrouver toute seule à faire la mariole, pensez-vous.

Vous décider simplement d’y retourner à la première heure demain pour dénoncer à la responsable ce drôle de manège sans queue ni tête.

Bon et puis à force vous avez fini par vous habituer à ce type d’événement.



Voilà comment, de fil en aiguille, nous en sommes arrivé à une génération qui ne savait plus trop s’il fallait mieux se s’habiller ou se déshabiller.”

(Décrochage des toiles)