Exposition personnelle : Du Ballooning, en attendant le bal
Lieu : Café des Galces, Tonnerre
Date : 2025
Texte d’exposition : Géraldine Gourbe


Hollywood Baby, Alone
Acte I d’un opéra flash sous acide


I hate the T-shirt
But I love the songs
And the music is liquid*



“C’est moite, c’est chaud. Ça suinte, ça coule. On dégouline, on se délite. L’énième récit d’une canicule plus réelle que dystopique ou dystopiquement réelle ? Le retour de nos corps en surchauffe, surmontés de nos têtes débilisées par une actualité tragiquement cartoonesque ? Absolument pas. Derrière chaque reflet de l’exposition de Mathilde Ganancia au Café des glaces, derrière chaque goutte d’eau de condensation, on aperçoit des vieilles peaux. Des peaux fripées puis retendues grâce à un lifting ou repulpées par un peeling…ayant appartenues à des gloires du passé. Une expression, on ne peut plus « pudique » occultant une violence et un isolement terribles, relevant d’une punition essentialisante.

Cette scène, à l’étage du centre d’art, qui se dévoile sous nos yeux pourrait être celle de la résurgence du visage de Norma Desmond : jouée par Gloria Swanson dans Boulevard du Crépuscule de Billy Wilder. L’histoire monstrueuse et fascinante - comme il y en a pléthore dans le Hollywood Babylone de Kenneth Anger - d’une diva du cinéma muet, s’enfermant dans sa villa, contrainte d’acheter son amour et son possible retour sur scène à un jeune scénariste, lui-même pris au piège de la folie égocentrique d’un être parlant à plusieurs voix, celles de tous ses personnages. Mathilde Ganancia joue elle-même dans son écriture, ses nombreux textes d’un même ressort qui relèverait, selon moi, d’une schizophrénie des voix hurlantes, feutrées, intrusives, folles d’une misogynie crasse. Cela pourrait être encore une peinture alias vieille idole nommée Fedora jouée par la sublime Marthe Keller, incarnant une ombre d’elle-même, furieusement dissociée de sa personnalité. Réduite à sa propre silhouette, elle en est devenue la figurante de sa propre vie, se cachant sur une île grecque prisonnière de ses proches qui la séquestrent. Billy Wilder, génie queer du cinéma, maîtrisait le sens de la mise en scène de ces démones narcissiques ; Mathilde Ganancia, à son tour, développe la dramaturgie d’un livret d’opéra à la teneur maniaque.

A l’image de ce qui se passe dans les loges d’une Elisabeth Taylor - queen Kleenex des sérigraphies sérialisées à outrance par Andy Warhol -, les couches de fond de teint, de fard à paupière et de rouge se superposent autant qu’il est nécessaire de remonter les années. Pour retrouver une séduction flash qui rime avec pulpe et ovale du visage, flirtant avec le risque d’une image de soi criarde, surfaite, c’est-à-dire vulgaire.

C’est précisément, je pense, cette métamorphose pop qui est réinvestie par Mathilde Ganancia comme un manifeste féministe, éloge de la mollesse des peaux, des toiles. Le lycra qui s’étire à en devenir par endroits transparents, laissant apparaître les épaules du châssis à l’image d’une bretelle de soutien-gorge s’affaissant. Un mouvement assumant sa non-maîtrise et s’offrant, basculant involontairement vers la sensualité. Au creux des bâillements du t-shirt, du short s’offre la vue sur une aisselle, un pli d’aine, une pilosité. La mollesse est chaude, sexuelle, vibrante : salive et suc des vulves s’embrassent. Les codes implicités de la jeune fille propre, de l’adolescente femme retenue, chantés par les vieilles rengaines du paternalisme boomer s’éteignent. Alors les mots apparaissent à nouveau en dehors d’un registre androcentré (Luce Irigaray) par onomatopées ou comme des tatouages sur les toiles. Des visages floutés au milieu d’une foule de l’Assemblée nationale - ou celui qui émerge d’un paysage vu sous acid-trip - se reconfigurent comme lors d’un bouquet final au feu d’artifice du 14 juillet. C’est bruyant, assourdissant, populaire et merveilleux tel un opéra éclair entre deux rumeurs ravageuses à propos de nos idoles. Hollywood baby, alone.”


*Liquid de Sporto Kantes



Légende :

1. Installation centrale, bois et autres
matériaux récupérés dans les stockages du Café des Glace, avec :

MIMOSA PUDICA, huile sur tissu Vinyl, impression sur lycra résille fine, ruban, 120 x 170cm, 2025

Chtttt, huile, feutre et stylos sur coton et fourrure synthétique, 110 x 180 cm, 2025

C’est pour moi un grand honneur, peinture à l’huile, encre, huile sur tissu viscose, et impression sur jersey, 112 x 180 cm, 2025

Serviette, lycra, colle de peau de lapin, latex végétal, paillettes, sable et restes de toiles sur tissu éponge, 240 x 180 cm, 2025

I couldn’t put all the birds, peinture vynilique sur organza, graphisme par Roel Nabuurs, 70 x 120 cm, 2025

En attendant, latex, peinture vinylique, huile et paillettes sur tissu lycra métallique, 70 x 110 cm, 2025

L’assemblée nationale, huile, colle de peau de lapin, et organza et impression sur polyester sur lainage polyester, 2024, 100 x 140 cm

I noticed it had been poisoned, acrylique, sable et huile sur toile, impression sur lycra resille fine, 90 x 150cm, 2025

Bonjour, j’ai besoin de vous, peinture à l’huile, colle, paillette, pigments et huile sur coton, ruban, 140 x 190 cm, 2025


2. Stock de peintures sur estrade, avec :

Le gens s’en vont travailler, peinture à l’huile, colle de peau sur coton, impression sur lycra résille fine, tissus polyester, brillant et huile sur tissus jersey métallisé, graphisme par Roel Nabuurs, 150 x 180 cm, 2024

Et l’amour aussi, acrylique, huile aérosol sur polyester extensible et velour mélangé, 130 x 190 cm, 2025

Comme une une envie de pisser, peinture vinylique, à l’huile et encre sur soie synthétique, lycra, peinture à l’huile sur tissu scintillant en maille pailletée, acrylique sur coton, ruban, 120 x 160 cm, 2025

Au Café des Délices, huile et colle sur coton, ruban, impression sur lycra résille fine, 160 x 100 cm, 2025

Il ne dort pas, il ne mange pas, il y a trop de maladies, huile sur toile, 80 x 130 cm, 2025

On les aurait pompées dans la nuit, peinture à l’huile, encres, javel, paillettes, latex et impression sur tissu résille fine, 260 x 190 cm, 2025

Pour les autres elle était laide, peinture à l’huile sur toile, 70 x 100 cm, 2025

24h heures de butinage, latex, paillettes, lingerie, collants, pollen et huile sur tissu synthétique, 170 x 70cm, 2024


3. La fabrique de l’information, vidéo HD, 9min, musique originale de ROTI (Jean-Philippe de Tinguy), 2025


Images © Camille Besson


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